La taverne, la vraie, la seule, l'unique!

Feidreiva observa la serveuse en silence pendant un long moment, plissa les yeux, puis soupira et se tourna vers Tjaal.

Ces petits jeunes qui n'osait pas assumer!
La belle femme se tourna vers Tjaal, et parla à voix très basse:

- Visiblement le choix est fait, Mademoiselle semble être assez timide...

Elle sourit:

- Mais ce n'est pas grave, elle aura d'autres moments pour se rattraper. Je vais donc vous accompagner!

Elle écrasa définitivement sa clope, et rangea son long fume cigarette en ivoire dans un repli de son long manteau.
Elle se leva, ajusta son écharpe autour de son cou gracieux, et se pencha vers le patron.

- Merci beaucoup de nous avoir invités. Je vais accompagner le jeune homme, mais je repasserais sûrement!

Elle lui dédia un sourire, puis, se dressant sur ses jambes gaînées de bas, elle fit signe à Tjaal de la suivre.
Elle tira un instant sur sa robe, avant de resserer son manteau autour d'elle pour affronter la neige qui tombait dehors.

- Nous allons devoir affronter les aléas de l'hivers! Mais même par temps de neige, la tour du ciel est largement visible...

( poste dans les rues ^^ )

Gwendoaëlline sentit, plus qu’elle ne les vit, Tjaal et Feidreiva sortir sous la neige qui tombait drue. Elle baissa les bras, arrêtant le remue-ménage inutile qu’elle provoquait sur le comptoir déjà bien encombré, et eut un nouveau soupir.

*Même pas juste ! Moi je dois rester ici à servir des marins puants pendant qu’elle, elle va faire mumuse dehors avec un petit nouveau carrément sympa! Je suis sûre que la neige est excellente pour faire des belles batailles de boules de neige bien balancées*

Elle médita ainsi pendant un moment sur l’injustice dans le monde, particulièrement vis-à-vis des divertissements relatifs au temps hivernal, quand elle fut tirée de sa rêverie par les cris des marins qui réclamaient qui sa bière, qui sa viande.

-Rholala… Bande de fainéants…

Elle re-re-poussa un soupir à fendre l’âme, replaça une mèche rebelle invisible et fit le tour du comptoir pour servir tous ces gens.

Feidreiva eut l'étrange impression de revivre la même scène lorsqu'elle entra une nouvelle fois dans la taverne.
Une nouvelle fois les regards parcoururent sa silhouette, et une nouvelle fois elle les laissa faire.
Après tout, elle n'y perdait rien, et puis si ça pouvait leur faire plaisir...

Elle avança à grandes emjambées jusq'au comptoir, et s'attabla.

Elle sortit une cigarette, l'alluma, et souffla des ronds de fumée au plafond en regardant Gwendo pensivement.

Elle l'intriguait cette petite jeune fille...

Elle la héla:

- Et toi!!

Pour être sûre d'être entendue elle en rajouta:

- Toi la petite jolie! Tu peux venir s'il te plaît?

Gwendoaëlline était en train de remplir une demi-douzaine de chopes de bière et elle ne vit pas arriver Feidreiva malgré la centralisation des regards sur elle. En revanche, en entendit son premier appel ; habituée à ce que les clients ne retiennent pas son prénom, ni ne prennent la peine de réfléchir trois secondes à un surnom simple, elle prit le parti de croire que cette interjection s’adressait à elle. Etant donné l’agitation qui régnait dans la taverne, elle ne s’aperçut pas que la voix qui l’appelait était particulièrement féminine.

*J’arrive… Cinq secondes… Voilààààààààà…*

Alors qu’elle finissait de remplir les chopes en manquant de renverser la dernière, elle entendit encore mieux le deuxième appel et la précision qu’il apportait. Et cette fois, elle eut nettement conscience que son client était une cliente. Elle se leva à demi et, cachée derrière le tonneau qui contenait la bière, balaya la salle du regard. Elle reconnut immédiatement Feidreiva qui monopolisait l’attention générale et qui semblait regarder dans sa direction.

*Oh non… Pffffff… Elle vient sûrement me raconter comment c’était super dehors, avec toute la neige et tout…*

Elle soupira, ce qui était chez elle d’un maladif chronique, et finit de se lever. Elle mit les chopes sur un grand plateau, et atteignit tant bien que mal une table située dans le fond de la salle avec la quasi-totalité du liquide commandé. Elle s’éloigna situé après avoir posé le plateau, non sans s’être faite reprocher sa lenteur et sa maladresse. D’un pas traînant, elle atteignit la grande calanis qui l’attendait. Elle s’arrêta à un mètre d’un elle et demanda d’un ton morne, en songeant à la formidable promenade dont elle revenait :

-Oui ? Vous voulez boire quelque chose ?

La belle femme sourit doucement, et parla d'une voix voilée, en secouant sa cigarette au bout de ses doigts. Décidément, cette petite jeune fille était irrésistible!
Elle commença son approche gentillette.

- Et bien non ma chère.... Gwendoaëlline je crois non?

Elle venait juste de le lire dans un esprit, mais c'était l'effet qui comptait.

- En fait, je me suis dit que vous aimeriez savoir ce que va devenir le jeune homme.

Bien ça, de parler de lui. Ca va la détendre.

- Je ne le sais pas moi même, mais si vous le désirez, nous pourrons aller ensemble aux nouvelles dans une petite heure. Ils devraient en avoir fini.

Elle eut un nouveau sourire:

- Et à vrai dire, ça m'intéresse de savoir comment tout ça va finir.

Gwendoaëlline fronça les sourcils en entendant son nom correctement prononcé. Elle ne songea pas que c’était naturel que la Calanis connaisse tout d’elle étant données ses capacités psychiques, et se demanda si quelqu’un lui avait parlé devant elle lors de sa dernière venue à la taverne. Puis Feifreiva évoqua Tjaal.

*Et voilà ! Dans le mile ! Non mais j’te jure… Quelle pimbêche, celle-là !*

Mais en écoutant le reste du discours de Feidreiva, la jeune serveuse de sentit un peu mieux. Finalement, elle n’était pas si méchante : même s’il lui fallait subir des auto-compliments comme quoi c’était grâce à elle que Tjaal allait bien, au moins elle le reverrait. Cette idée lui mettait du baume au cœur.

*Mais je comprends pas vraiment ce qu’elle veut dire par « comment tout cela va finir ». Enfin bref, ce n’est pas si important ; je vais moi aussi avoir le droit de m’amuser !*

-C’est-à-dire, pour moi oui, mais…*

Elle chercha des yeux le patron dans la grande salle de la taverne et le repéra près du comptoir.

Ce même patron se rendit compte au bout d’un moment que quelqu’un l’observait. Il vit tout de suite que sa jeune serveuse le fixait : il s’excusa auprès des personnes avec qui il parlait, et se dirigea vers Gwendoaëlline qui se tenait près d’une table où était attablée, il la reconnu tout de suite, Feidreiva. Il eut un discret et respectueux signe de tête à son égard, avant de se tourner vers sa jeune employée.

-Ne dis rien, laisse moi deviner. Madame ici présente –nouveau signe de tête- t’as proposé d’aller faire un tour je ne sais où, et tu as besoin de mon accord pour déserter la place ?

L’air coupable de sa protégée en disait long sur ses capacités de déduction.

-Hé bien, pourquoi pas après tout. Ca te dégourdira les jambes. Mais fait attention à ne pas prendre froid ! Et je t’attends pour ce soir. Je suis sûr qu’il y aura du monde.

Après un léger clin d’œil en direction de Feidreiva, il s’éloigna en souriant.

La belle femme en noir sourit largement et claqua ses deux mains l'une contre l'autre avec entousiasme, en se levant.

- Parfait!

Elle regarda sa montre. Vu l'heure, ou il était encore là bas, et n'avait pas rencontré les deux cheftaines, ou il attendait toujours. Dans tout les cas, elles pouvaient y aller.

- Tu mets un manteau ma puce? Il fait assez froid dehors.

Elle ne se rendit pas compte qu'elle lui donnait un surnom qui pouvait paraître péjoratif à la jeune fille, alors que pour elle même il était mignon et montrait son affection.
Fey se rendit soudaint compte qu'elle allait refaire exactement le même chemin, mais après tout, pourquoi pas.
Elle dédia un sourire éclatant à l'aubergiste, et lui claqua un bisous retentissant sur la joue.

- Je suis désolée de vous la prendre, mais pour vous dédomager, je pourrais l'aider gratuitement pendant la soirée! En plus, j'ai besoin d'une chambre. Pour une fois, je la prendrais ici.

Feidreiva se sentait d'exellente humeur, et elle regarda Gwen, l'attendant.

Gwendoaëlline rougit violement au « ma puce » lancé négligemment par Feidreiva.

*Vas-y, continue, je sais que j’ai pas ta minceur intemporelle, mais t’es pas obligée de faire de l’ironie dessus…*

Les dents serrées, la jeune serveuse, regardant ses pieds, se dirigea vers le coin où était suspendue sa cape en laine grossière.

Mais, en fait, le problème quand on regarde ses pieds, c’est que par voie de conséquence, on voit rien d’autre, à part les saletés sur le sol. Ce vers quoi on marche reste un mystère absolu. C’est ce que se dit Gwendo qui se dit qu’après tout, regarder devant tout en baissant la tête, ça reviendrait au même. Ses yeux de relevèrent juste à temps pour éviter un bulldozer ambulant vêtu de loques qui devait appartenir à la catégorie Frankenstein attardé.

Bref, tout ça pour dire qu’elle mis un petit moment à atteindre la chose qui lui servirait vaguement de protection. Elle s’empara et commença le trajet inverse tout en jetant la cape sur ses épaules. Comme de bien entendu, elle la mit à l’envers. Les coutures se voyaient et elle ne pouvait pas sortir la capuche, mais elle ne s’en rendit pas compte, ou alors, qu’inconsciemment.

*Je vais avoir l’air de rien, à côté d’elle. Tant pis, au moins je reverrais le gentil Tjaal*

Elle s’arrêta à quelques pas de Feidreiva et tenta de dissimuler, dans ses pensées et son regard, le fait qu’elle lui en voulait pour l’allusion de tout à l’heure. Sans compter qu’elle avait l’impression qu’elle draguait un peu tout le monde, à vouloir l’aider et à rester ici. Mais c’était toujours ça de pris.

Elle adressa un dernier regard au patron doublé d’une esquisse de sourire (non, pas de battement de cils intempestif, faudrait pas abuser non plus)

-Euh, je crois que je vais vous suivre, vous savez le chemin sûrement mieux que moi.

Seïshi était parti de la plage, et il marcha jusqu'au port.

*Bon sang! Mais je suis où ici? Sur quelle île? Ca serait ça les Indes découvertes par Christophe Colomb?*

Il regarda les bateaux, qui ne ressemblaient en rien aux galères royales, ni aux bateaux de pêche de l'époque.

*Je n'en ai jamais vu des pareils... Ca veut dire quoi tout ça? Qu'est ce qui s'est passé? Je ne comprends rien...*

A moitié paniqué, il pressa le pas...

*Il faut vite que je trouve des explications... Qu'est ce que je fous ici? C'est où l'Europe? Je suis en Europe là? *

Il vit enfin une maison, et Seïshi ne mit pas beaucoup de temps pour s'aperçevoir que c'était un bar, mais il n'y avait rien de comparable avec ce qu'il avait vu en France...

*Enfin quelque chose qui me rassure, un bar... J'espère qu'il y a des bières ici...*

Il ouvrit les portes du bar. Il y avait beaucoup d'agitation, et il y avait une grande chaleur.
Ce qui frappa en premier Seïshi, c'était que la pièce était éclairée non pas avec un chandelier ou des bougies, mais avec une grande source lumineuse, qui éclairait énormément la pièce...

*Est ce que c'est bien un bar? Je me serais peut être trompé... Cet éclairage me fait plutôt penser à une des nouvelles découvertes que l'on trouve chez les nobles...*

Puis, il regarda les gens qui étaient assis a leur table, riant jouant... Mais ils étaient tous propres, pas des gens qui se roulaient par terre tellement qu'ils avaient bu... Pas de gens saouls qui tapaient les fesses des serveuses...

*Cette ambiance... Je préférais la mienne, celle des bons vieux bars où tout était permis... C'était si bien...*

Mais les gens avait une allure différente, leurs habits... Tous propres encore une fois... Il n'y avait pas de gueux qui venait ici pour noyer leurs soucis dans l'alcool...

*C'en est trop! Je suis où? Je veux savoir!*

Il explosa:

"Mais je suis où ici? Quelqu'un pourrait-il m'expliquer?"

Un grand silence se fit dans la salle...

Le tavernier avait bien vu l’inconnu entrer dans sa taverne. Il était en train de faire le patron qui réfléchit difficilement à ses comptes ; en fait, il ne faisait rien. Il décida donc d’observer le nouvel arrivant ; il ne lui fallu pas longtemps pour voir qu’il était nouveau sur Kerya. Sa manière de considérer son environnement, avec circonspection et étonnement, était très caractéristique.

*Oula… Celui là semble près de la crise de nerfs… Ca va pas tarder…*

En effet, quelques instants plus tard, le nouveau se mit à crier… Prévisible, il ne savait pas où il était et voulait des renseignements…

C’est dans ses moments-là qu’un patron doit montrer qu’il en est un. Il doit s’imposer, montrer que ici, c’est chez, et chez personne d’autre, qu’il est doué, et capable de tout expliquer à tout le monde, en bref, que ici, c’est lui le patron. Dès que quelqu’un de nouveau arrive, il fallait tout suite que la petite étiquette clignotante avec inscrit dessus « Patron, c’est moi ! » s’impose à l’esprit du nouveau, épinglée sur le tablier sali dudit patron. Sinon, c’était fichu. Autrement dit…

*Et voila… On peut même plus rien faire tranquillement ! Ah, ces nouveaux !*

Il s’avança néanmoins, bombant le torse, qu’il avait imposant, d’ailleurs.

- Je me présente. Je suis le patron.

*Héhé… Ca, c’est une aide d’une capitale importance !*

- Vous êtes actuellement dans ma taverne.

*Mais de mieux en mieux ! Bon, je vais arrêter, il va en avoir marre…*

- Je suppose que vous êtes nouveau… C’est-à-dire que vous ne savez pas où vous êtes. Sachez donc que vous vous trouvez actuellement sur l’île de Kerya, une île hors de l’espace, ou presque, et du temps. Ce qui signifie entre autres qu’une nouvelle vie commence pour vous aujourd’hui, car plus rien ne vous rattache à l’ancienne. Sachez aussi que vous allez subir des transformations légères en vous, voire sur vous ; mais ceci, c’est du détail. Vous devez allez vous faire « recensé » auprès des dirigeants, qui se pencherons sur votre cas.

Le patron sourit, dévoilant des dents rendues jaunes par l’alcool et le manque d’hygiène.

- Je vous rassure, vous n’êtes pas le premier… Ni le dernier. On saura s’occuper de vous. En attendant, je suppose que quelle que soit l’époque dont vous venez, vous connaissez la bière ?... Venez donc en prendre une chope avec moi. Cette brassée est excellente.

Le patron retourna derrière son comptoir, semblant attendre un geste de plus ou moins acceptation de la part du nouveau, qui allait être tout naturellement complètement perdu, perturbé et bouleversé.

Seïshi avait arrêté de bouger, arrêté de crier.

Une fois que le patron lui avait expliqué où il se trouvait, il n'entendait plus rien autour de lui. Il ne comprenait plus rien.

*Ce n'est pas possible! Ce n'est pas possible!*

Il s'effondra sur une chaise vide, et regarda cette table, longuement, essayant de remettre ses idées en place.

*Je suis sur une île. Oui, une île, une île bizzare, pas comme toutes les autres où je suis allé. Je suis sur cette île.*

Il ferma les yeux et les rouvra a nouveau.

*Je ne suis pas le seul dans mon cas... Mais je ne pense pas que mes compagnons soient arrivés ici... Enfin peut être...*

C'était le seul petit espoir qu'il avait à présent.

*Si j'ai bien suivi, je suis prisonnier ici... Je ne peux pas partir. Je dois rester ici... Il faut que je m'habitue.*

"Je suis prisonnier!"

Sans s'en apercevoir, il avait parlé à voix haute.

Il s'adressa au patron:

"Excusez moi, mes idées sont confuses... "

Il y eu un silence, et il reprit sur un autre ton, beaucoup plus joyeux:

"Mais je veux bien de votre bière!"

Le patron sourit.

-Bien sûr, sans problème.

Il se retourna vers le comptoir et amorça tranquillement le remplissage d’une chope. Dans la salle, les bruits commençaient à se faire entendre, les conversations reprenaient. Le patron, toujours souriant, remplit une deuxième chope, et se dirigea vers une table. Il s’y installa et fit signe au nouveau de venir s’asseoir avec lui en lui tendant une des deux chopes. Il trempa tranquillement ses lèvres dans l’autre et aspira une gorgée du liquide mousseux à souhait. Il laissa un peu de temps passer, puis il se pencha en avant et demanda :

-D’accord. Raconte moi ton histoire, je ne connais pas le chapitre précédent de ta vie…

Seïshi ne savait pas trop par où commencer, et resta quelque temps silencieux avant de se lancer.

"En fait, j'habitais en France, à Paris. Je ne sais pas si vous y êtes déja allé, mais là-bas, il y a une énorme misère. Il n'y a que les nobles qui mangent bien... Mais il y a beaucoup plus de paysans que de nobles."

Seïshi s'arrêta d'un coup.

*Et si c'était un noble? Il va peut être le prendre mal et... Non. Tant pis, je sais me battre.*

"Et donc, j'étais un enfant né dans cette misère. J'ai échappé aux maladies les plus graves, mais j'ai failli mourir plusieurs fois. Mes parents n'ont pas eu cette chance, tous comme mes nombreux frères et soeurs. J'étais désormais un orphelin de plus dans les rues de Paris. Je ne vous cacherais pas, monsieur, que j'ai volé pour vivre."

Seïshi vérifia qu'il avait bien son petit couteau dans sa poche au cas où le patron était de ceux qui méprisaient les pauvres.

*Une bagarre peut si vite arriver...*

"Vous savez, il y avait beaucoup de petits clans d'enfants... Moi je faisais partie d'un petit groupe de douze. C'était ma famille. Ils comptent pour moi beaucoup plus que ma vraie famille."

*Que ma famille m'a t'elle apportée? Rien*

"Mais là encore, les maladies, et en particulier la peste, faisaient des ravages. Plusieurs de mes amis sont morts. Pas moi. Je ne comprends toujours pas comment. Sur une douzaine, nous n'étions plus que deux. Petit Louis, c'était son nom."

*Ca me fait penser que je me suis toujours pas présenté!*

"Moi, monsieur, je me nomme Seïshi"

*La seule chose que mes parents m'ait donné...*

"Mon nom de famille, c'est mes copains qui m'en on donné un. Je ne me rapelle plus de celui de mes parents. Vous pouvez donc m'apellez Seïshi Kensaku."

*Et maintenant, qu'est ce que je vais raconter? Si je dis que je suis un pirate, on me fera pendre.*

"Et un jour, un capitaine me remarqua et me prit à son bord comme mousaillon. Je me débrouillais plutot bien. Le capitaine m'aimait, et il était comme un père pour moi. Petit Louis était resté a Paris. Il n'aimait pas la mer. C'était elle qui avait tué ses parents."

Il fit une pause, et finit de boire sa bière.

"Plus tard, je n'étais plus un simple moussaillon. Je déroulais les voiles les plus hautes du bateau. J'ai aussi appris à me battre. Il peut arriver beaucoup de choses sur la mer."

Il regarda son verre vide, l'air triste, et continua.

"Un jour, on a été attaqués. Notre beau bateau a coulé, et je me suis retrouvé je ne sais trop comment sur cette île. Voila, je vous ai tout raconté."

Le patron resta pensif quelque temps. Il avait intercepté le mouvement légèrement défensif de l’homme qui cherche à vérifier qu’il était protégé. Attitude compréhensible pour un gamin des rues, même s’il n’était pas crédule quand au rôle de « moussaillon » qu’avait joué celui qui disait s’appeler Seïshi. Si son navire avait été attaqué par des pirates, il l’aurait précisé ; il s’était donc fait abordé par un navire royal qui n’avait d’autre but que d’éradiquer toute forme de piraterie sur les mers.

*Cependant, toujours laisser le bénéfice du doute aux inconnus… De plus, peut-être que quand une cause juste nécessite un acte de piraterie, la piraterie elle-même peut devenir une cause juste.*

Le patron sourit intérieurement, puis leva un regard dur vers Seïshi.

-Je suis né approximativement à ton époque. Je tiens à te dire que je suis parti d’un maigre capital, mais que j’ai prospéré, et ma renommée avec moi, avec un principe très important… Toujours rester honnête avec soi. La pauvreté n’est pas toujours une raison valable pour le vol. Son regard s’adoucit. Néanmoins, je comprends parfaitement tes réactions. Un enfant de ton âge sans aucune éducation n’a pas tellement d’alternative pour survivre… D’ailleurs, j’ai connu certaines des bandes d’enfants dont tu parles. Ils pouvaient toujours trouver en ma taverne un toit où dormir et un feu auprès duquel se réchauffer, du moment qu’ils n’essayaient pas de me dérober.

Le tavernier évoquait avec plaisirs ces souvenirs anciens. Il s’accorda l’amorce de l’ombre d’un sourire d’une demi seconde, puis il revint à des choses plus pratiques.

-J’ai l’impression que c’est une journée exceptionnellement productive, aujourd’hui… Deux nouveaux qui atterrissent chez moi ! C’est bien extraordinaire. Je vais donc te répéter ce que j’ai dit au précédent…
Il te faut te faire « recenser » auprès des autorités. Elles te donneront quasiment tout si elles le peuvent : argent, métier, logement… Bien sûr, il faut que tu ais une idée de ce que tu comptes faire. Ses yeux se firent perçants et il fixa Seïshi intensément, rivant son regard au sien. Ne croit pas que tu pourras rester à ne rien faire ou à faire des choses… disons douteuses. Kerya est assez riche pour que personne ne manque de rien.

Il soupira. Décidément, la journée était longue. Il se sentait las… Avec le réveillon à venir, il ne fallait pourtant pas qu’il faiblisse.

-Donc. Je résume. Il te faut aller à la Tour du Ciel, qui est le siège des dirigeants, d’une part, mais avant, réfléchir à ce qui te plairait de faire. N’hésite pas à poser des questions sur les métiers : avec tous ces gens qui viennent d’à peut près toutes les époques, il se pratique des métiers dont tu ne soupçonnes même pas l’existence… Dans le genre être payé pour enfoncer des aiguilles dans la peau qui sont censées décontracter les muscles… Enfin bref.

Le patron leva les yeux au ciel. Quelle stupidité, quand tout le monde sait qu’une bonne nuit de sommeil sur un sol bien dur arrange tout.

-Mon toit t’est offert pour cette nuit, si tu désires prolonger ta réflexion. Cela pourrait te permettre d’en apprendre un peu plus sur les gens d’ici. Néanmoins, je comprendrais si tu tenais à être indépendant le plus vite possible. A toi de voir.

Seïshi écouta le patron attentivement. Il se sentait tout petit face à lui.

*Alors, il a vécu à la même époque que moi? Je ne suis donc pas si bizarre...*

Le patron ne sembla pas en vouloir particulièrement aux voleurs, ce qui le rassura.

Le patron parla ensuite d'une autre personne qui serait venue avant lui.

*Je suis donc pas le seul paumé... Ca me rassure. Et puis le patron aussi a vécu une arrivée ici un peu comme la mienne, je pense. Je ne suis donc pas si étranger que ça finalement...*

Les personnes autour de lui ne se souciaient désormais plus de lui qui juste avant était rentré en criant. Il se sentait accepté. Pas si différent.

Le patron continua de parler. Quand il eut fini, Seïshi resta quelques secondes silencieux, essayant de tout remettre bout a bout.

"Un métier... Je ne sais que faire de la voile et chiper une pomme sur un étalage sans me faire remarquer... Je n'ai pas vu de bâteau en venant... Je ne sais pas si vous en avez."

Il regarda par la fenêtre qui donnait sur la mer, l'air triste, puis regarda le patron avec un sourrire soudain.

"Mais je veux bien de votre hospitalité. J'irais voir les dirigeants aujourd'hui ou demain. Peut être vaut-il mieux que j'y aille tout de suite?"

Le patron inclina lentement la tête en signe d’acceptation. Puis, après une courte réflexion, il déclara :

-Je pense que ça n’a pas d’importance que tu ailles les voir aujourd’hui ou demain… Néanmoins, je ne sais pas à quelle époque de l’année tu étais avant de franchir le champ magnétique, mais nous sommes ici le 24 décembre, veille de Noël, et je ne suis pas sûr que les administrateurs travailleront demain… Même si ça ne m’étonnerait pas. Surtout qu’ils ont beaucoup de travail en ce moment. Tu n’es pas le premier nouveau venu aujourd’hui. Enfin, c’est comme tu penses ; mais il te faudra t’occuper demain… Il va se dérouler, en soirée, une petite…

Le patron buta sur les mots. Il aimait la période de Noël, car elle lui rappelait des valeurs chères à son cœur, mais il n’appréciait pas particulièrement les festivités emplies de faste et d’abondance qui en découlaient. Même s’il pensait qu’un grand rassemblement de temps en temps de tous les Keryans pouvait apporter une certaine pacification, il songeait que Noël ne devait pas être utilisé à des fins sociales ou politiques. Mais il était un des rares dans son cas, et ne voulait pas influer l’avis du nouveau venu qui avait sûrement besoin de prendre ses marques.

-… une petite fête, avec tous les habitants de l’île. Tu pourras peut-être y rencontrer des gens semblables à toi, ou même de futurs amis… Mais tu ne dois pas oublier de t’inscrire. C’est le plus urgent. Et avant, n’oublie pas de réfléchir à tes centres d’intérêt… Malheureusement, je ne pense pas qu’il y ait beaucoup de bateaux ici, qu’ils soient de plaisance ou de pêche… Le champ magnétique les empêche d’aller loin, les activités ne sont pas rentables… Pas question donc de sortir en haute mer, c’est impossible. Il doit cependant exister des petits bateaux à activité limitée. Tu peux toujours essayer d’en parler aux chefs. Après tout, cette taverne a la réputation d’être celle du port, même si c’est un port assez restreint.

Le patron sourit. Si ce petit-là pouvait s’en sortir, c’était bien grâce à ses centres d’intérêt, et même si ces passions n’étaient pas forcément raisonnables, il aurait toujours raison d’être passionné.

-Toujours est-il que tu bénéficies de mon hospitalité cette nuit. Que préfères-tu ? Manger un morceau, aller t’inscrire, partir à la découverte de la ville, te reposer ? Malheureusement, je ne pourrais pas rester avec toi si tu pars, car mon unique serveuse s’est absentée un moment, et je ne peux pas laisser mon auberge sans responsable. Ceci dit, je ne pense pas que tu risques de te perdre. C’est donc à toi de choisir.

Le patron se cala contre son siège. Ses pensées étaient dirigées vers Gwendoaëlline, et il aurait aimé la voir revenir pour pouvoir respirer un peu. Sans compter qu’il était légèrement inquiet… Même s’il ne le montrait pas beaucoup, il était très attaché à la petite serveuse empotée et il détestait l’idée qu’il puisse lui arriver quelque chose.

*J’espère qu’elle va bien…*